03/11/2010

Un peu d’humilité, svp !

« Et c'est mon sentiment, qu'en faits comme en propos, la science est sujette à faire de grands sots ! » –Molière, les Femmes Savantes, mais si ! – En cette belle journée, je veux prendre quelques minutes pour retourner ma veste et porter un coup de griffe aux défenseurs d’une valeur que je vois d’ordinaire comme un pilier essentiel de chaque civilisation : la culture. Je considère comme acquis le fait que sans culture, une société périclite et sombre dans la décadence ; ça se vérifie ces temps puisque tout dans notre monde occidental, nourri à la seule science du marketing – qui est à la culture ce qu’Attila le Hun était à l’herbe – contribue à ôter à l’homme toute volonté de créer ou même de connaître, étape indispensable pour en faire un bon consommateur. Non non, je n’exagère pas tant que ça, les grandes chaînes de télévision s’emploient d’ailleurs à corroborer mes dires, tous les jours aux heures des émissions pour les d’jeunz. Quoi qu’il en soit, il serait aussi stupide que hâtif d’affirmer que seule une poignée d’irréductibles penseurs résiste encore et toujours à l’envahisseur tandis que le reste du monde se vautre en bavant devant la téléréalité. Parce que des intellectuels, il y en a foison. C’est juste qu’on les voit moins, parce qu’étant tout maigres et cachés derrière des lunettes et des porte-documents, ils passent facilement inaperçus, sans compter qu’ils rasent les murs pour éviter de se faire racketter leurs récrés. Et le problème avec certains intellos, c’est que parfois, ils se croient les derniers vestiges de l’âge d’or. On a souvent tendance à confondre instruction et intelligence, comme si tous deux allaient de pair. Pourtant, le fait que les grandes écoles soient autant qu’ailleurs le foyer des imbéciles n’est plus un secret ; le plouc intelligent n’est pas plus rare que l’instruit idiot. Il suffit de se croire unique et d’en ressentir de la fierté. Car oui, intellectuels de mon cœur, vous avez passé vos jeunes années dans les auditoires, les musées et les salles de classe, entre vous, à vous instruire et à vous intéresser à tout ce à quoi la « bourse du savoir » a bien voulu octroyer de la valeur ; vous avez toujours un aphorisme sous le coude ou un grand auteur à citer pour épater la galerie. À une question simple, vous répondez du Proust. À une question sur Proust, vous n’avez aucune réponse simple. Et vous confondez bien volontiers discussion et péroraison. Mais tout aussi sûrement que l’aurait fait la télé, votre soif de culture a étouffé votre perception. Vous n’êtes pas riche de votre savoir, mais du sentiment d’appartenir à une élite rare. Convaincus d’être les derniers détenteurs de la grande sagesse des Anciens, vous vous plaisez dans votre tour d’ivoire uniquement parce que votre voisin, que vous méprisez, n’y a pas sa place. Et la recette de votre succès est bien souvent un assentiment servile à la pensée unique de ceux qui savent. Pourtant, pauvres de vous, vous avez le droit d’avoir vos opinions ! Lorsque vous lisez la Divine Comédie, plutôt que de vous demander combien vous êtes à l’avoir lue en entier – en serrant les fesses et en comptant les pages qu’il vous reste – pourquoi ne pas vous demander si elle vous plaît ? Et si elle ne vous intéresse pas, pourquoi ne pas l’admettre, et laisser prendre la poussière à ce fichu bouquin pour en ouvrir un autre ? Il est paradoxal de constater à quel point la superbe érudition des instruits peut raccourcir leurs idées et altérer leur jugement, jusqu’à les priver de leur bon sens aussi sûrement qu’un ou deux lustres à rester vissé devant TF1. Paradoxal et ironique. Car c’est souvent des donneurs de leçons que viennent les meilleurs exemples à ne pas suivre. Alors amis intellectuels, dites-vous que si Socrate avait ponctué chacune de ses déclarations par un « vous saisissez, bande de connards ? », il n’aurait pas eu le même impact. Et que si la première chose que vous retirez d’un Dostoïevski, c’est la fierté de l’avoir lu, c’est que vous n’en n’avez rien compris. Alors après, lorsque l’on refuse de vous accompagner au musée d’art moderne, ce n’est pas forcément parce qu’on est borné et obtus, c’est peut-être aussi parce qu’on n’a aucune envie de vous entendre gloser. Et que l’art moderne, c’est moche.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Combien vous avez raison...
Mais encore faut-il savoir ce qu'on appelle aujourd'hui la culture. Vous parlez de "lire" la Divine Comédie, ou Dostoïevski. Et bien sûr, surtout de les digérer, de s'en nourrir...
Mais le monde d'aujourd'hui veut autre chose. Sans dire un mot des niaiseries télévisuelles sur la famille, déchirée ou reconstituée (Mon fils ne me parle plus depuis 2 ans. Que faire?), les problèmes du couple ou les gloires sportives (ah! le Dupuis au commentaire "sportif" de la TV romande), les émissions qui se réclament de culture font appel à d'autres notions.
"Questions pour un champion" (...pour un couillon, comme dit une mienne amie, mais c'est l'une des rares émissions à avoir (parfois) un aspect culturel) par exemple, se réclame de la mémoire. Il ne s'agit pas d'avoir lu les misérables, d'en avoir tiré les leçons, mais de savoir que le vilain pas beau, c'est Thénardier. S'en souvenir, et vite. De l'extraordinaire portrait de Hugo, on n'en a rien à cirer. Jamais le beau Julien ne vous posera de question là-dessus. De votre avis, il n'a cure. Du reste, il a probablement fait à l'époque ce que font les écoliers actuels: lire un (court) résumé.
Et c'est cela aujourd'hui: se contenter d'une reproduction d'Hopper, la regarder superficiellement, et évidemment pas se déplacer à une exposition, à 2 pas de chez nous. Consulter Internet est amplement suffisant pour connaître le destin de Raskolnikov. Pourquoi perdre son temps à lire le roman ? Et 300 ou 500 pages: vous n'y pensez pas...
La Culture, on s'en fout. L'école n'a plus le temps, la société a d'autres choses à faire, le politique s'en désintéresse (ainsi Lausanne, qui refuse un superbe collection de peintures pour des motifs inavouables: on aurait dû crucifier les responsables de ce gâchis).
Restent les parents, qui devraient faire quelque chose. Mais en ont-ils le temps ? le courage ? l'envie ? Le monde d'aujourd'hui est celui de la consommation, du profit, du jetable. Du facile. Du Macdo. Vite fait, même pas bien fait; acratopège. Pas d'efforts. Vite à l'orgasme. Et qu'on passe à autre chose.
La misère est en marche.
Plus que jamais, la culture est l'apanage d'une élite, peut-être en voie de disparition...
Courage, Labo. Poursuivez. Assumez. Lisez "les Misérables" avec vos enfants, commentez-leur les "Nymphéas"...
Dr Zen