Ça, vous l’avez entendu des milliers de fois. L’argument absolu, la justification décisive qui met un terme au débat, la volonté affirmée d’offrir aux générations à venir un monde meilleur que le bourbier sinistre et violent dans lequel on patauge à grand bruit. C’est noble.
C’est aussi assez classique. Lorsqu’on veut quelque chose, on n’hésite pas à se cacher derrière un altruisme de bon aloi dès qu’on en a l’occasion : « moi je m’en fous que t’apportes pas à boire hein, mais c’est les autres qui vont tousser ». On admettra volontiers que c’est commode et qu’on y a tous recours une ou deux fois. Et bien les mômes, c’est pareil. Certaines fois c’est de bonne guerre, comme par exemple chez tante Claude (« on va rentrer, il est fatigué. »). D’autres fois, c’est un peu plus lâche. Par exemple lorsque l’on évoque les problèmes de société.
Les problèmes de société, c’est, par exemple, lorsqu’un adolescent débarque à l’école avec un Spas12 et deux boites de munitions dans son sac en lieu et place du Grand Meaulnes et commence à faire feu de ci de là en envoyant indifféremment élèves et enseignants au tapis ; c’est aussi lorsque un mari rentre bourré et passe sa frustration et ses déboires sur sa femme à coup de ceinture. C’est encore, dans un autre registre, lorsqu’un père de famille, quelque peu lassé par des mois d’insultes et de turbulence d’un gamin indiscipliné, finit par ponctuer un énième argument par une bonne claque qui sonne haut et clair, tel le cor de chasse au petit matin résonnant joyeusement dans la vallée.
Bref, un problème de société, c’est un effet dont on cherche à supprimer la cause. C’est aussi complexe que difficile à cerner et pour ce faire, le moyen le plus généralement répandu consiste à trouver un bouc émissaire et à le pointer du doigt en citant un argument choc dans lequel doit obligatoirement figurer l’expression « pour nos enfants ».
Exemple : il y a quelques années à Lausanne, un débat faisait rage au sujet de l’ouverture d’un local d’injection, à savoir un lieu où nos toxicomanes pourraient se réunir pour se piquer en paix et se réclamer deux balles parmi. Les partisans au projet clamaient qu’il était dans l’intérêt de nos enfants d’éloigner les toxons des lieux publics où ils se shootent forcément sous leurs yeux, tandis que les opposants avançaient qu’avec un local d’injection, nos enfants vivraient dans une ville où les toxicomanes afflueraient par tonnes (et c’est pas épais, un toxico).
En clair, un enfant, c’est une sorte de bannière que l’on brandit à chaque occasion pour défendre des idées qui ne les concernent finalement pas tant que ça. C’est l’image que l’on donne à l’avenir, une image mutine et attendrissante avec des grands yeux de Bambi devant laquelle il est bon ton de se pâmer en s’écriant « c’est-mi-gnon ! »
Aussi, pour assurer que sa croissance se déroule dans les meilleures conditions, on est prêt à monter au créneau pour tout ce qui nous dérange, pas le moutard donc, mais bien nous. Dans le faux but de favoriser sa vie future, on veille sur lui comme une poule sur ses œufs, avec comme défense principale face au reste du monde la sacro sainte interdiction.
Interdiction de cloper dans les lieux publics, au boulot, bientôt au volant et finalement partout ailleurs. Interdiction des jeux vidéos violents, peu importe qui y joue et à quel âge, c’est forcément la cause de leur future agressivité d’ados. Interdiction de construire des minarets ou de porter un voile, parce que ça choque l’enfant. Interdiction de promener son chien, si petit soit-il, s’il n’est tenu par une laisse, dès fois qu’il irait bouffer une classe. Interdiction d’organiser des apéros géants, parce que ça ne donne pas le bon exemple. Interdiction de fesser l’enfant, parce que ça laisse de terribles séquelles. Etc. Par contre, rien n’a carrer des émissions stupides, des pubs débiles et des films bourrins qui en feront un crétin s’il ne s’ouvre pas à autre chose. Aucun accent mis sur un semblant d’éducation ou de culture. Qu’il regarde TF1 et MTV, comme tout le monde.
Pourtant, curieusement, on oublie toujours d’envisager que l’enfant, fatalement, va un jour grandir. Parce qu’après avoir passé une enfance utopique calfeutrée dans une parodie de monde tout rose, lorsque le petiot, surprotégé jusqu’à la fin de sa scolarité, pénétrera dans le monde du travail, le voile se lèvera d’un coup sec et on ne lui fera plus de cadeaux. Fini l’enfance, maintenant c’est un adolescent, par définition rebelle, clopeur, buveur, provocateur, violent, agressif, ignorant et paresseux.
En fin de compte, on devrait peut-être leur interdire de grandir.
3 commentaires:
Je ne peux que tomber d'accord avec votre exposé cher Labo vu que nous nous sommes déjà entretenu sur ce sujet.
J'interviens juste pour ajouter que quelque soit les choix fait par l'enfant: de devenir flic, danseur, vampire ou chanteur n'a absolument aucune importance tant qu'il payera ces impôts (seul façon d'être bien vu sous ces latitudes). Mais je crois que cela est omis dans l'univers sucré du chérubin obèse. De fait je m'interroge: l'Etat doit-il supprimer les impôts car "traumatisants" une fois arrivé à l'âge adulte?
Ben non, une fois à l'âge adulte il se prend tout dans sa gueule, y-compris et surtout les impôts !
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