03/08/2010

Un peu de fiction

Si la grande famille de Georges est bien évidemment constituée de membres éminemment cultivés et philosophes, cela ne l’empêche en rien d’apprécier les plaisirs simples mais indispensables de l’humour, de l’imaginaire et du divertissement. C’est pourquoi certains d’entre nous ne rechignent pas, lorsque l’occasion se présente entre une conférence et une séance diapo, de s’adonner aux joies simples mais ô combien saines du jeu. Et bien entendu, lorsque l’on évoque le jeu, c’est avec un regard d’ensemble sur le grand éventail du divertissement ludique, du subtil jeu d’échecs à la délassante belotte en passant par l’édifiant jeu vidéo violent. Mais c’est sur le jeu de rôles que nous nous étendrons aujourd’hui. Je sais, vous vous en foutez, si ça se trouve vous savez même pas ce que c’est ; peu importe, un peu d’ouverture que diable, quand on évoque la confection artisanale de sabots en basse Normandie vous êtes tout ouïe, il me semble que la moindre des choses est de vous montrer à l’écoute même pour les sujets qui vous intéressent moins. Le jeu de rôles, pour ceux qui ne connaissent pas, consiste à interpréter un personnage dont les pensées et les actions évolueront en fonction de la trame scénaristique d’une aventure conséquemment vécue dans le fond par les joueurs, lesquels, formant la moelle même du déroulement du scénario, décideront, en partenariat avec le maître de jeu dont l’improvisation définira l’évolution du script, de l’orientation à donner aux actes des personnages principaux officiant en tant que héros de ladite histoire et dont les influences mutuelles amèneront le jeu à acquérir une substance dont l’ambiance, l’interprétation et la vie même seront décidée par les agissements donnés dans leur ensemble à l’architecture de la trame apposée par les différents intervenants. Comme ça vous savez. Or, il est courant, dans le monde du jeu, de désigner le Seigneur des Anneaux comme source des tout premiers jeux de rôles. Cela paraît complètement ridicule, puisque, comme on le sait grâce aux évangélistes, le Seigneur des Anneaux, longtemps décrié comme le Tome Sombre de Belzébuth (parce qu’il y a de la magie et des méchants dedans), est en réalité une fraîche allégorie de la Bible (parce que les méchants perdent à la fin). Et, toujours selon les évangélistes, le jeu de rôle, et cette fois c’est pas des conneries, est hautement satanique. Pourtant, lorsque l’on y réfléchit un peu, on trouve nombre de raisons d’admettre qu’en effet, le Seigneur des Anneaux a tout de la partie de jeu de rôles entre potes. Penchons-nous en peu sur les divers points qui font pencher la balance : · Neuf personnages principaux, c’est beaucoup trop. Les premières parties devaient être un beau bordel ; on constate du coup qu’après la grosse baston contre les Huruk-Hai qui devaient capturer Frodo, le maître de jeu, dégoûté de voir ses beaux orques se faire mettre minables par une poignée de joueurs, a séparé la compagnie pour plus de clarté. Les gros-bills ensemble aux batailles, les finauds en mission d’infiltration etc. · Parmi les personnages principaux, on croule sous les stéréotypes : on a le joueur qui connaît le monde et les règles mieux que le maître de jeu et qui ramène toujours sa science (Gandalf), ceux qui en ont rien à foutre et qui sortent le gag lourd et désormais récurent du « nous on s’intéresse qu’à bonne bouffe, la bière et l’herbe à fumer » (les hobbits), les bourrins qui y croient à fond (l’elfe et le nain, d’abord rivaux, puis alliés en voyant que de toutes façons, c’est Aragorn le plus balèze), le petit malin qui a su s’arranger un background qui en fera un roi à la fin (Aragorn, donc), et enfin le grosbill frustré qui veut des objets magiques à la tractopelle (Boromir) et qui devient intenable lorsque c’est rien-à-foutre no1 qui hérite de tous les artefacts, et qu’en plus il n’en fait presque rien. · À l’épisode de la Moria, Gandalf, qui connaît tout le bestiaire par cœur, sait en voyant le Balrog que la bête à des caractéristiques de fou et pousse l’équipe à fuir le seul combat intéressant pour le MJ. Ce dernier se venge en faisant chuter Gandalf, tout fier de son emploi à point nommé de son sort « Casse-Caillasse », en même temps que son gros monstre chéri. On pourrait croire que c’est la fin, mais le joueur, à force de chier une pendule à son MJ, reviendra plus tard avec le même personnage, caractéristique définissant à coup sûr un joueur vraiment lourd qui n’arrête jamais d’insister. · Boromir, à force d’agacer le MJ (« tout ce que tu t’efforces de me mettre sur la gueule, j’y coupe la tête ! ») s’est pris une bonne volée de flèches qui fleure un peu la revanche vicelarde. On notera qu’il n’a pas négocié son retour aussi bien que Gandalf (« toutes façons j’m’en fous, j’me casse ! »). · Les joueurs, désireux d’éviter de passer par la Moria – parce que le coup de la mine abandonnée, ça sent le piège pas subtil jusqu’à Cul-de-Sac – tentent de franchir le Mont Caradras. Nenni. Des tonnes de neige, des avalanches et une hostilité que l’histoire veut mettre sur le dos de la montagne elle-même (et le film sur Saroumane), indiquent sans équivoques une trame de fond totalement dirigiste et un maître de jeu pas franchement ouvert. · Comme par hasard, Shelob – l’énorme araignée – prend d’assaut les seuls joueurs dont les personnages ne savent pas se battre. Fut-elle tombée sur n’importe lequel des bourrins, elle eût été éclaffée d’un coup de talon viril comme le dernier gob venu et adieu l’effet dramatique. N’empêche qu’on peut critiquer, mais des parties comme ça, on n’en fait plus. Essayez de tirer un scénario d’Avatar ou du Choc des Titans pour voir, ça sera aussi ennuyeux que les films en question, et probablement encore plus long. Et totalement dénué de surprises.

2 commentaires:

La Ronce de Lausanne a dit…

Bon bin vu que tu as migré tes chroniques et fines dissertations du sens de la vie jusqu'ici, j'en fais de même avec mes commentaires (en plus, ça me permet de d'ouvrir mon esprit à de nouveaux horizons plus graphiques).

Mais pour une fois pas de commentaires alambiqués presque aussi longs que le texte d'origine, juste une petite remarque pour demander si c'est grave si j'ai l'impression de pouvoir mettre des noms bien réels aux joueurs que tu décris derrières les persos ?

Labo a dit…

C'est grave oui, ça veut dire que tu fais des jeux de rôles avec moi. Mais chaque groupe a les mêmes, c'est juste les têtes qui changent (et encore).